"Conseil national de la refondation : pourquoi les parlementaires se sentent-ils en danger ?", Le Temps du Débat, France Culture, 08/09/2022

 

Ce 8 septembre s’est ouvert le CNR, présenté comme un nouvel espace de dialogue par Emmanuel Macron. Tous les partis d’opposition boycottent. Ils craignent un contournement des institutions républicaines. La "nouvelle méthode" participe-t-elle vraiment de la résolution de la "crise démocratique" ?

Avec

  • Dimitri Courant doctorant en sciences politiques (université Paris 8 / université de Lausanne)
  • François Patriat Sénateur LREM de la Côte-d'Or, ancien ministre
  • Annie Genevard députée du Doubs (Les Républicains), vice-présidente de l'Assemblée Nationale

Le Conseil national de la refondation s’est ouvert aujourd’hui mais ne doit pas s’arrêter de si tôt puisqu’il connaîtra d’autres séances nationales mais aussi en région. Il doit traiter de santé, d’école, de plein emploi, de vieillesse et d’écologie mais n’a pas pour l’instant fait le plein de participants puisque les partis d’opposition et certains syndicats ont refusé l’invitation du Président de la République. Pourtant ce dernier ambitionnait avec cette initiative une nouvelle manière de débattre. On sait tout de même que les débats parlementaires de la période estivale ont été vivants et riches. Alors, pourquoi désirer ce débat interactif quand il existe au moins trois instances, l’Assemblée Nationale, le Sénat et le Conseil économique social et environnemental, qui sont supposées rendre compte des pulsations de la vie publique et démocratique dans ce pays ?

Pour rassurer des parlementaires inquiets, le Président a bien précisé qu’il ne s’agirait pas là d’une quatrième instance. Mais certains parlementaires se souviennent des précédents du Grand Débat et de la Convention citoyenne sur le climat et craignent que leur pouvoir soit ainsi rogné.

Pour en débattre, Emmanuel Laurentin reçoit Dimitri Courant, docteur en sciences politiques et chercheur associé à l’Université Princeton aux Etats-Unis, ses travaux portent sur la démocratie délibérative, les nouvelles formes de la représentation politique et les usages contemporains du tirage au sort, Annie Genevard, députée Les Républicains du Doubs et présidente par intérim du parti LR, et François Patriat, président du groupe RPDI au Sénat.

Le CNR : une tentative de refondation démocratique ?

Ce nouvel organe de concertation focalise les tensions au sein d’une démocratie souvent dite fatiguée. Ce projet du gouvernement est défendu par ceux qui y voit un lieu de démocratie qui viendrait éprouver une nouvelle horizontalité du pouvoir. Pour Francois Patriat "il s'agit d'impulser un esprit, une méthode et un agenda (et) cette méthode aujourd'hui, c'est de rapprocher les décisions gouvernementales des Français. Sur les 70 parties prenantes, 50 sont venues." Les oppositions quant à elles, se méfient d’une tentative de contournement du parlement par un organe "inabouti, imprécis. Je pense que cette instance n'a rien de vraiment représentatif, ni non plus de réellement participatif." comme l’explique Annie Genevard. Contournement d’un parlement qui à leurs yeux fut durant la précédente mandature, cantonné à un rôle d’adoption des lois sans véritable place donnée au débat démocratique. Ce n’est pas l’avis de François Patriat : "en commission mixte paritaire, on a abouti dans 75 cas à une issue positive, ce qui prouve bien que les oppositions n'ont pas été menacées". D’autres encore, dans une posture plus modérée, saluent la tentative de réponse à la crise de confiance dans nos institutions tout en étant largement critiques sur le manque d’assises, philosophique ou politique, d’un tel objet dont les occurrences antérieures – notamment la Convention citoyenne pour le climat - ont trop souvent été malmenées par l’exécutif a posteriori. La forme de ce CNR n’est pas la seule source de crispations, en effet les sujets auxquels il s’attache sont déjà largement explorés et leurs problématiques comprises d’après Annie Genevard : "Mais pourquoi refaire toujours à l'infini des constats pour se redire les mêmes choses? Nous connaissons ça par cœur. Le temps est à l'action, le temps est au courage politique."

A qui la légitimité populaire ?

C’est là que le bât blesse, semble-t-il, puisque le président qui appelle sans cesse à la participation conteste sans relâche la légitimité des voix populaires qui émanent de la rue. "vous avez une répression assez forte, par exemple lors du mouvement des gilets jaunes. Il est intéressant de voir une espèce de double mesure : pour certaines choses on veut faire beaucoup de concertation et pour d'autres non." observe ainsi Dimitri Courant. D’autant plus que les citoyens ont finalement été exclus du CNR sans explication : "finalement, l'annonce qui avait été faite au début d'inclure des citoyens tirés au sort, puis son évacuation de façon un peu non justifiée et rapide, est assez intéressante parce que ça montre que l’on envisage ce genre de modalité de façon assez légère" ajoute-il. Aussi, il semble y avoir une tentation pour l’exécutif de créer des instances de légitimation d’une parole citoyenne qui ne serait ni celle de la rue, ni celle des représentants du peuple : son parlement. Difficile alors pour celui-ci de ne pas y voir de la défiance de la part du gouvernement, qui vient redoubler la crise de confiance du peuple dans les institutions républicaines.